jeudi 16 juillet 2009

Petite bibliothèque "M" (10)

Guilleragues

[...] Il faut avouer que je suis obligée à vous haïr mortellement ; ah ! je me suis attiré tous mes malheurs : Je vous ai d'abord accoutumé a une grande passion, avec trop de bonne foi, et il faut de l'artifice pour se faire aimer, il faut chercher avec quelque adresse les moyens d'enflammer, et l'amour tout seul ne donne point de l'amour ; vous vouliez que je vous aimasse, et comme vous aviez formé ce dessein, il n'y a rien que vous n'eussiez fait pour y parvenir ; vous vous fussiez même résolu à m'aimer, s'il eut été nécessaire ; mais vous avez connu que vous pouviez réussir dans votre entreprise sans passion, et que vous n'en aviez aucun besoin, quelle perfidie ? Croyez-vous avoir pu impunément me tromper ? Si quelque hasard vous ramenait en ce pays, je vous déclare que je vous livrerai à la vengeance de mes parents. J'ai vécu longtemps dans un abandonnement et dans une idolâtrie qui me donne de l'horreur, et mon remords me persécute avec une rigueur insupportable, je sens vivement la honte des crimes que vous m'avez fait commettre, et je n'ai plus, hélas ! la passion qui m'empêchait d'en connaître l'énormité ; quand est-ce que mon cœur ne sera plus déchiré ? quand est-ce que je serai délivrée de cet embarras cruel ? Cependant je crois que je ne vous souhaite point de mal, et que je me résoudrais à consentir que vous fussiez heureux ; mais comment pourrez-vous l'être, si vous avez le cœur bien fait. Je veux vous écrire une autre Lettre, pour vous faire voir que je serai peut-être plus tranquille dans quelque temps ; que j'aurai de plaisir de pouvoir vous reprocher vos procédés injustes après que je n'en serai plus si vivement touchée, et lorsque je vous ferai connaître que je vous méprise, que je parle avec beaucoup d'indifférence de votre trahison, que j'ai oublié tous mes plaisirs et toutes mes douleurs, et que je ne me souviens de vous que lorsque je veux m'en souvenir ! Je demeure d'accord que vous avez de grands avantages sur moi, et que vous m'avez donné une passion qui m'a fait perdre la raison, mais vous devez en tirer peu de vanité ; j'étais jeune, j'étais crédule, on m'avait enfermée dans ce couvent depuis mon enfance, je n'avais vu que des gens désagréables, je n'avais jamais entendu les louanges que vous me donniez incessamment, il me semblait que je vous devais les charmes et la beauté que vous me trouviez, et dont vous me faisiez apercevoir, j'entendais dire du bien de vous, tout le monde me parlait en votre faveur, vous faisiez tout ce qu'il fallait pour me donner de l'amour ; mais je suis, enfin, revenue de cet enchantement, vous m'avez donné de grands secours, et j'avoue que j'en avais un extrême besoin : En vous renvoyant vos Lettres, je garderai soigneusement les deux dernières que vous m'avez écrites, et je les relirai encore plus souvent que je n'ai lu les premières, afin de ne retomber plus dans mes faiblesses. Ah ! qu'elles me coûtent cher, et que j'aurais été heureuse, si vous eussiez voulu souffrir que je vous eusse toujours aimé. Je connais bien que je suis encore un peu trop occupée de mes reproches et de votre infidélité, mais souvenez-vous que je me suis promis un état plus paisible, et que j'y parviendrai, ou que je prendrai contre moi quelque résolution extrême, que vous apprendrez sans beaucoup de déplaisir ; mais je ne veux plus rien de vous, je suis une folle de redire les mêmes choses si souvent, il faut vous quitter et ne penser plus à vous, Je crois même que je ne vous écrirai plus, suis-je obligée de vous rendre un compte exact de tous mes divers mouvements ?

Lettres de la religieuse portugaise

jeudi 18 juin 2009

Petite bibliothèque "M" (9)

Mireille Sorgue


Sève brute (2) 8 octobre

Et que saurais-je écrire,
sinon ma peine d’aujourd’hui,
ma peine d’amour que l’automne rougit comme une vigne vierge,
la gomme savoureuse, exécrable, sucrée,
l’huile rance qui luit dans les vases sacrés,
succulente de pulpe et robe incarnadine,
écume de vermouth, liqueur amygdaline,
ma peine mûre et qui suinte, âcre résine ;
la loutre chatoyante et verbeuse, gîtée
au logis tiède et clos de mes seins délaissés ;
mollusque parasite et bruissante marée ;
ma peine tour à tour qui se prélasse aux laisses,
lascive, paresseuse, indolente maîtresse,
où (sic) le cavalier lourd qui me presse et m’éreinte
amazone drapée d’une vapeur d’absinthe ;
vénéneuse corolle ou floraison marine
qu’épanouit la nuit ; ma couronne d’épines ;
ma douleur somptueuse en velours cramoisi
poivrée comme un relent de banane pourrie
comme un soir de juin si lourd que l’on défaille
chaude autant que ton bras qui ceintura ma taille


Que saurais-je écrire, sinon Toi, et la souffrance dont tu me combles ?
J’ai marché dans les rues aux cohortes démentes
Et passante sans yeux, pleurant mon âme absente,
Promené tout au long des stupides pavés
Ma soif inconvenante et mes sanglots figés ;
J’ai marché, et les bruits alentour déferlaient,
Vague tonitruante et saumâtre, et j’allais,
Me berçant au giron de cette maritorne
Au rire croupissant, Ville, chacale morne :
Je tressaillais, blessée, au bref glapissement
Des freins sur la chaussée, au triste hululement
D’un train dans le décor ; je fuyais étrangère,
Eclaboussée de lie, et nul qui fût mon frère
Et qui me prît la main et d’un baiser défît
Le délire diurne et l’angoisse des nuits…
Thalassa reperdue, j’invoquais ton rivage
Aux étreintes moirées sur la douceur des plages…
Mais me conduira-t-il celui qui sait les bords
Où se berce l’oubli ? J’ai des pensers de mort
Qui bourdonnent aigus, crécelle lancinante
Au chant sempiternel, monotone et navrante,
Thalassa reperdue, parviendrai-je au rivage,
Et saurai-je à nouveau le sel de Ton visage ?

Je t’aime. Amour en pure perte.

Petite bibliothèque M (8)

Mireille Sorgue

2 août
Sève brute (1)

Et que saurais-je écrire, sinon ma peine d’aujourd’hui, ma peine d’amour, neuve, acide – goût de prunelle diaprée prise au buisson avant le temps, longuement macérée sous la langue, corrosive et insinuante liqueur,
et ce vent qui m’affouille,
ma peine aiguë ou sourde au gré du temps,
ma peine contenue, apaisée, comme un chien qu’on flatte à la croupe en le retenant du collier, -- assoupie enfin – (Que vite on chante une berceuse très endormeuse…)
et soudain, sans que j’aie su pourquoi, en lente reptation vers ma gorge qui s’affole,
jusqu’à ce que douleur s’ensuive.

Je mords le drap crissant et fade.

Que saurais-je écrire sinon Toi et la souffrance dont tu me combles ? J’ai agrippé mes doigts aux pierres que tu foules, et tu écrases mes ongles en dansant sur mes mains la ronde de ta joie.
Tes bottes sonnent la cadence sur un rythme de sarabande, et ton rire chante clair, si clair, mon amour, insoucieux de moi.

Je t’aime. Amour en pure perte,
comme un vent qui ne jouerait pas avec les fumées sur les toits,
qui ne tournerait aucune roue de moulin aux pales chuintantes,
qui ne peignerait aucun arbre,
comme une bruyère où ne viendraient pas les abeilles,
comme une pluie que les oiseaux ne pourraient boire,
comme un fruit mûr qu’on ne goûterait pas,
comme un inutile sanglot.

(Ce poème date de 1962. Il y eut donc un premier "Toi" avant l'Amant, comme il y en eut un autre après.)

vendredi 29 mai 2009

Petite bibliothèque "M" (7)

Yvan Tourgueniev

« J’avais une prédilection particulière pour les ruines de l’orangerie, ayant pris l’habitude d’escalader son mur abrupt et d’y rester assis, à califourchon, tellement malheureux, triste et oublié que je prenais pitié de moi-même : douce griserie de l’isolement mélancolique !
Un jour que je me trouvais là, les yeux perdus au loin, à écouter le carillon du monastère, je perçus tout à coup un frôlement mystérieux : ce n’était pas le vent ni un frémissement, mais une sorte de souffle et plus exactement la sensation d’une présence… Je baissai les yeux.
Zinaïda longeait le sentier d’un pas pressé ; elle portait une robe légère, de couleur grise, et une ombrelle de la même teinte sur l’épaule. Elle m’aperçut, s’arrêta, releva le bord de sa capeline et me regarda avec des yeux de velours.
« Que faites-vous si haut ? me demanda-t-elle avec un étrange sourire… Eh bien, qu’attendez-vous ?... Au lieu de passer votre temps à me persuader que vous m’aimez, sautez donc par ici, si cela est vrai. »
A peine avait-elle fini de parler, que je me précipitais en bas, comme si un bras m’avait violemment poussé dans le dos. Le mur devait être haut de près de cinq mètres. J’atterris sur mes pieds, mais le choc fut si vigoureux que je ne réussis pas à rester debout ; je tombai et restai évanoui quelques instants. En revenant à moi, et sans ouvrir les yeux, je sentis que Zinaïda était toujours là, tout prés de moi… « Cher petit, disait-elle avec une tendresse inquiète, cher petit, comment as-tu pu faire cela, comment as-tu pu m’écouter ? Je t’aime… Relève-toi… »
Sa poitrine se soulevait tout contre ma tête, ses mains frôlaient ma joue… et soudain – Seigneur, quel délice ! – ses lèvres douces et fraîches couvrirent mon visage de baisers… effleurèrent mes lèvres… A ce moment-là, bien que je me gardasse soigneusement de rouvrir les yeux, elle dut se douter que j’étais revenu à moi et se redressa rapidement :
« Eh bien, relevez-vous, espèce de grand fou… Qu’est-ce que vous faites là, dans la poussière ? »
J’obtempérai.
« Donnez-moi mon ombrelle… voyez où je l’ai jetée… et ne me regardez pas ainsi… En voilà de sottes idées !... Vous êtes-vous fait mal ?... Vous vous êtes piqué dans les orties ?... Je vous dis de ne pas me regarder ainsi… Il ne veut rien comprendre, rien répondre, ajouta-t-elle comme si elle se parlait à elle-même. Rentrez chez vous, m’sieur Voldémar, brossez-vous et ne me suivez pas, sinon je vais me fâcher et jamais plus je ne… »
Elle n’acheva pas son propos et s’éloigna rapidement ; je m’assis sur le bord du sentier… mes jambes ne voulaient plus me porter. Les orties m’avaient piqué les mains, j’avais mal dans le dos, la tête chancelante, mais, avec tout cela, j’éprouvais un sentiment de béatitude que je n’ai plus jamais retrouvé de ma vie. Il se manifestait par une torpeur douce et douloureuse circulant dans mes veines, et finit par se donner libre cours, sous forme de gambades et de cris enthousiastes…
Vraiment, j’étais encore un enfant ! »

Premier Amour (traduction R.Hoffmann).

vendredi 22 mai 2009

Petite bibliothèque "M" (6)

Giacomo Leopardi

« Quand je dis que je me blâmerais de toute tentative pour raviver ou faire renaître cette passion dans mon cœur, ce n’est pas là l’effet de quelque sentiment de honte : s’il a jamais existé une affection réellement pure et platonique, montrant la plus extrême aversion pour toute ombre de souillure, ce fut bien la mienne, ce l’est encore, et c’est par sa nature même, non par quelque précaution de ma part, qu’elle s’afflige et se replie sur elle-même avec horreur au premier soupçon d’impureté. Si je m’interdis de ranimer ma passion, c’est qu’elle est trop funeste pour moi. En effet, si une légère brume d’affectueuse mélancolie, comme celle que j’ai connue ces derniers jours, n’est pas dénuée de charme, et peut même nous plaire sans trop nous troubler, je n’en saurais dire autant de cette anxiété, de ces désirs, de cette insatisfaction, de cette folie, de cette angoisse que commande le fort de la passion et qui font de nous les êtres les plus misérables et tourmentés qui soient au monde. J’ai eu un avant-goût de cette misère le premier soir et les deux premiers jours de ma maladie, au cours desquels, comme j’en puis juger à présent, j’ai en vérité profondément ressenti l’amour. Ce que furent les symptômes, les particularités, en un mot le caractère de ce premier amour, ces pages écrites dans la plus grande ardeur de ma passion le révèlent. Je pourrais y ajouter le désir manifeste de trouver quelque charme à ma personne. Mais le premier jour, loin de ressentir ce désir, je fuyais plutôt tout ce qui pouvait évoquer ou me représenter ma propre image, éprouvant pour elle la même aversion que pour les autres visages. Du reste, je suis si peu enclin à rougir de ma passion que, dès l’instant où je l’ai conçue, je m’en suis toujours félicité, tout à la joie de ressentir une de ces affections sans lesquelles on ignore la grandeur, de me savoir accessible à d’autres souffrances qu’à celles du corps et de m’être prouvé clairement la tendresse et la sensibilité immodérées de mon cœur ».

Journal du premier amour (traduction Joël Gayraud).
Proposé par Jean-Marc Picquier

lundi 18 mai 2009

Petite bibliothèque "M" (5)

Sören Kierkegaard

« Johannes !

Je ne t’appelle pas « mon » Johannes, car je sais bien que tu ne l’as jamais été ; j’ai été assez durement punie pour avoir laissé mon âme se délecter à cette idée ; et pourtant, je t’appelle mien ; mon séducteur, mon trompeur, mon ennemi, mon assassin, l’auteur de mon malheur, le tombeau de ma joie, l’abîme de mon infortune. Je t’appelle mien et je m’appelle tienne, et de même qu’autrefois cela te flattait les oreilles, toi qui fièrement t’inclinas pour m’adorer, à présent cela doit sonner comme une malédiction sur toi, une malédiction pour toute l’éternité. Ne te réjouis pas en pensant que j’ai l’intention de te poursuivre ou de m’armer d’un poignard pour t’exciter à des moqueries ! où que tu fuies, je suis pourtant tienne, va jusqu’au bout du monde, je resterai pourtant tienne, donne ton amour à des centaines d’autres, je suis pourtant tienne, oui à l’heure de la mort je serai tienne. Le langage même dont je me sers envers toi doit te prouver que je suis tienne. Tu as eu l’audace de tromper un être de telle façon que tu es devenu tout pour cet être, pour moi, et que j’aurais infiniment de plaisir à devenir ton esclave, – je suis à toi, je suis tienne, ta malédiction.

Ta Cordélia

Journal du séducteur.
Proposé par Fanny Domecq

dimanche 10 mai 2009

Petite bibliothèque "M" (4)

Emily Dickinson


Je n’avais pas le temps de haïr
La tombe m’en aurait empêchée,
Et la vie n’était pas si vaste
Que je n’épuise l’inimitié.

Je n’avais non plus le temps d’aimer
Mais puisque il faut bien s’occuper,
La menue peine d’amour,
Ai-je pensé, me suffirait.

*
I had no time to hate, because
The grave would hiner me,
And life was not so ample I
Could finsih enmity.

Nor had I time to love ; but since
Some industry must be,
The little toy of love, I thought,
Was large enough for me.

(Proposé par Laure Maçon-Mitchell)

jeudi 30 avril 2009

Petite bibliothèque "M" (3)

Catherine Pozzi

AVE

Très haut amour, s’il se peut que je meure
Sans avoir su d’où je vous possédais,
En quel soleil était votre demeure
En quel passé votre temps, en quelle heure
Je vous aimais,
Très haut amour qui passez la mémoire,
Feu sans foyer dont j’ai fait tout mon jour,
En quel destin vous traciez mon histoire,
En quel sommeil se voyait votre gloire,
Ô mon séjour..
Quand je serai pour moi-même perdue
Et divisée à l’abîme infini,
Infiniment, quand je serai rompue,
Quand le présent dont je suis revêtue
Aura trahi,
Par l’univers en mille corps brisée,
De mille instants non rassemblés encor,
De cendre aux cieux jusqu’au néant vannée,
Vous referez pour une étrange année
Un seul trésor
Vous referez mon nom et mon image
De mille corps emportés par le jour,
Vive unité sans nom et sans visage,
Coeur de l’esprit, ô centre du mirage
Très haut amour.

— D'après Très haut amour, poèmes et autres textes de Catherine Pozzi, ed. par Claire Paulhan et Lawrence Joseph, Gallimard "Poésie", 2002. Proposé par Marc Briand.

lundi 27 avril 2009

Petite bibliothèque "M" (2)



Guillaume Apollinaire
2 août 1915

Mon petit sifflet à deux trous,
La photo est merveilleuse, puisque tu veux mon appréciation juste et raisonnée. Elle montre 2 sœurs jumelles dont l’air est si ingénument insolentes (1) qu’elles méritent les sévices qui leur apprendront à garder plus de retenue. Il ne faut pas oublier d’autre part qu’au Louvre l’Odalisque d’Ingres fait pendant à l’Olympia de Manet et qu’ayant la 1re je voudrais bien avoir également la seconde. Tu m’écris juste assez de lettres pour me consoler un peu. Elles ne sont pas de trop, ni surtout trop longues. Je les trouve même trop obstinément courtes. J’attends aussi celles qui sont amusantes tout en témoignant d’une « ignorance totale ».
Mâtin ! Vous allez bien, un à la minute !! J’ai envoyé maintenant la bague. J’espère qu’elle te plaira. J’ai fait de mon mieux et j’ai eu bien du mal aussi à graver l’inscription qui est à l’intérieur.
Toutou me délaisse aussi, d’ailleurs je crois bien qu’il est en retard sur moi de 2 lettres.
Tes lettres sont gentilles, mais comme toujours, il n’y a aucun détail. Tu m’écris au galop. M’écrire est pour toi une corvée !
Pour moi, mon chéri, je t’adore infiniment, tu es la plus gracieuse divinité du monde, tu es la divinité même qui s’est faite femme. J’adore tes yeux las, ton corps souple et admirablement fait. Je t’aime infiniment ma petite divinité chérie. Je me demande quand j’aurai l’occasion de te revoir, mais en attendant, je suis bien content que tu sois heureuse dans les bras de Toutou. Amuse-toi bien. Toutes recommandations oiseuses, au demeurant, puisque tu me l’as écrit, un coup à la minute. Vous devez régler toutes les pendules de la région.
Je ne m’embête pas trop malgré la monotonie extravagante de cette région déshéritée qui a malgré tout son charme discret. Le même charme qu’a une jolie femme mariée en voyage pr aller tromper son mari.
ODE
Lou Toutou soyez remerciés
Puisque par votre amour je ne suis pas seul
Et je nais de chacune de vos étreintes
Pensée vivante qui jaillit de vous
Lou Toutou je suis votre petit enfant
Je tiens à vous, à Lou par le lien ombilical
Jeté sur la terre de France des Vosges à la mer
Ainsi sommes nous unis par la chair des tranchées
Nous sommes unis par la vie et par la mort
Bénie soit aussi cette guerre qui m’unit à votre douceur
Avant on ne parlait que de paix
Et l’amour s’en allait peu à peu de nos cœurs et de la terre
Aujourd’hui, c’est l’Amour éperdu où s’accolent
Tous les grands peuples
L’Amour cette guerre
La vraie guerre
Tant de choses nous séparaient
C’était la paix la vilaine paix
Mais nous avons senti tout à coup
Qu’il fallait nous rapprocher nous unir
Pour nous aimer, ô noble guerre
Ô noble, ô noble amour
Amour sacré qui flamboie et fume
Sur les hypogées tandis que râlent les projectiles
Nous ne combattons point pour conserver la vie
Nous menons l’Amour en grande pompe
Vers la mort
Vers le seuil suprême
Où veille la guerrière mort
Ainsi Toutou nous défendons Lou
C’est la grâce, c'est-à-dire ce qu’il y a de plus rare
Dans l’idée de Beauté
Rien n’est plus noble que ce combat
Esthétique et sublime
Toutou Lou écoutez-moi
Aimez-moi
Gui.
Lettres à Lou, pp. 475-77, ed. Gallimard (Blogger n'accepte pas la versification d'origine)
(1) sic.
[Mireille Sorgue avait fait venir de la Bibliothèque Nationale sur microfilms les Lettres à Lou d’Apollinaire avec l’idée de préparer un DES avec Michel Décaudin alors en poste à l’université de Toulouse. Elle a appris la mort de Louise Coligny-Châtillon survenue le 7 mars 1963]

samedi 25 avril 2009

Petite bibliothèque "M"

Cette petite bibliothèque de la place Mireille Sorgue se bâtira au fil des lectures ou des dons et sera composée de textes relatifs au sentiment et au discours amoureux.

Simone de Beauvoir

« Il y a plusieurs choses que je hais dans l’amour : l’abandon de tout soi-même qui est une simple lâcheté parce qu’un être n’est jamais une fin, qu’évidemment le devoir est tout de même au-dessus de l’amour et que le devoir défend d’aliéner sa liberté ; je n’en fais pas une question de dignité mais de morale. Je consentirais volontiers tous les sacrifices pour un être que j’aimerais, mais je ne voudrais pas n’exister qu’à travers lui – le chantage sentimental qui pousse les femmes surtout à voir dans celui qu’elles aiment un être chargé de partager le fardeau de leur âme qu’elles sont trop faibles pour porter…Je sais que dans les minutes d’abattement, un grand désir vous prend parfois de crier sa peine à une âme amie, de voir dans des yeux chers le reflet de soi-même ; cela c’est s’aimer soi et dans l’autre l’amour qu’il a pour vous. Le vrai amour, c’est le mot de Goethe : « Je t’aime, est-ce que cela te regarde ? » Bien sûr, les confidences, le sentiment d’une mutuelle intelligence sont une des douceurs de l’amour, parce qu’on ne donne pas toujours, qu’il est bon aussi de recevoir ; mais si l’on accepte joyeusement de recevoir, si l’on a même le droit de demander parfois, c’est donner qui demeure l’essentiel.
Je n’aimerais pas non plus un être qui serait toujours supérieur à son amour, parce que ce serait une preuve que sa passion n’est pas assez grande si elle ne l’accable jamais ; je le mépriserais de se montrer inférieur à sa passion, parce que serait une marque de sa propre faiblesse. Je ne voudrais pas qu’il raisonnât toujours, parce qu’une grande passion est d’abord instinctive ; ni qu’il ne raisonnât jamais, parce que l’homme doit savoir s’élever au-dessus de ses instincts. Je voudrais qu’il unît à la lucidité du héros de Aimée [roman de Jacques Rivière] la simplicité du Grand Meaulnes ou d’une élégie de Jammes ; à la spontanéité d’Almaïde d’Etremont [roman de Francis Jammes] la réflexion douloureuse d’Alissa. Une belle passion est plus difficile et plus rare encore je crois qu’une belle œuvre. Des amoureux et des amoureuses que je connais, aucun je pense ne me satisferait pleinement […] Autant d’être différents, autant de positions en face de l’amour. L’essentiel au fond c’est d’aimer et d’être sincère. Mais c’est une chose si grave l’amour, même pour ceux qui n’aiment jamais » (Cahiers de jeunesse, 21 août 1926, ed. Gallimard. Simone de Beauvoir a 18 ans).

samedi 18 avril 2009

Un visage


C’est un portrait sans date, vers 1440, une huile sur chêne, de la grandeur d’une feuille A4. Beaucoup font le voyage de Berlin pour aller voir au Staaliche Museen cette « Joconde du Nord ». Le tableau est mentionné dans l’inventaire de Laurent de Médicis : opera di Pietro Cristi da Bruggia. Petrus Christus avait acquis droit de cité à Bruges en 1444. Il s’y imposa entre la mort de Van Eyck et l’arrivée de Memling. Qui est-elle ? Coiffée d’un hennin court, avec un mince col d’hermine, elle est vêtue à la française. Elle n’a ni cils ni sourcils. Souffre-t-elle d’un mal ? Est-elle épilée comme c'était la mode? Elle regarde son spectateur de ses yeux obliques, lisse et lumineuse comme une perle, coquille d'oeuf fragile. Mireille Sorgue : « La jeune fille de Petrus Christus veille au fond, au-dessus du lit que j’ai fait mettre parallèle aux fenêtres », 13, rue Urbain-Vitry, Toulouse, 9 juin 1964.

Un second visage



Un rameau de genévrier sur l'épaule donne le nom de cette « Princesse d’Este » de Pisanello : Ginevra (huile sur peuplier, 42x29, 6). Son visage peint de profil, comme une médaille, se détache sur un fond d’œillets et d’ancolies, symboles de mort. Un papillon qui volète au-dessus de son front épilé (lui aussi) représente l’âme. Ginevra d’Este épousa en 1434, à 14 ans, Sigismond Malatesta, célèbre pour ses trahisons. Il l’empoisonna quand elle eut 20 ans afin d’en épouser une autre. « Si j’étais innocent, ce serait horrible. Mais j’ai au moins la satisfaction de me dire que je suis coupable. Comme j’ai bien fait de l’être ! Vive ma vie ! » (Montherlant, Malatesta). Mireille aurait-elle connu son histoire ? Elle ne séparait pas les deux visages et disait (20 mars 1963) : « Je n’ai pas d’âge et ne vieillirai pas plus qu’eux. »

jeudi 16 avril 2009

Pascal amoureux (2)

Chapitre deuxième

On ne quitte les plaisirs que pour d’autres plus grands : Pascal va diriger par correspondance ce déplacement de la volupté (il reste neuf extraits de ses lettres que Charlotte a brûlées au moment de mourir). Pour l’instant la voilà partie vers le marais poitevin où son frère Arthus, le duc, gouverneur de cette province, a des projets d’assèchement. Ils sont une image de l’intention commune à la sœur et au frère de renoncer au bourbier du monde. Pendant des années Arthus avait regardé grandir Mademoiselle de Menus, la plus riche héritière du royaume tandis qu’il était le seul duc et pair qui restait à marier. Et quand la voilà en âge de s’unir et qu’on la lui propose, il temporise. Quoi, s’emporte son grand-oncle, on vient vous la jeter à la tête et vous dites que vous y penserez…il faut que vous soyez fou !

Il ne faut pas, écrit Pascal en cet automne 1656 à Charlotte (mais il s’adresse aux deux) se demander si on a vocation pour sortir du monde, mais seulement se demander si on a vocation pour y demeurer, comme on ne consulterait point si on est appelé à sortir d’une maison embrasée. Pascal associe sans y manquer jamais la passion et le feu. Il a vécu sa période mondaine de la mort de son père (1648) à la nuit de son Mémorial (1654). Les médecins lui avaient conseillé, en plus des purges, le divertissement. Il a fréquenté le salon de Mme de Sablé, l’hôtel des Roannez, il a joui de sa fortune, il a joué aux jeux de hasard. Puis il a choisi la spiritualité, la netteté d’esprit qui lui permet de voir distinctement ce qu’il aime (Discours sur les passions amoureuses). Sa sœur Jacqueline était entrée à Port-Royal en 1652, Blaise avait vingt-neuf ans. Elle lui avait tenu lieu de tout, même de secrétaire pendant ses expériences sur le vide.

Il retarda autant qu’il le put ses engagements définitifs, ceux-là qu’il encourage chez Charlotte. L’esprit, chez Jacqueline, avait été précoce (à 12 ans elle écrit des rondeaux, à treize obtient de Richelieu le retour en grâce de son père) et il restait vif. A propos de netteté, elle reproche à Blaise de mettre les balais au rang de meubles superflus…Il est nécessaire que vous soyez, au moins quelques mois, aussi propre que vous êtes sale. Elle-même se surcharge de tâches à Port-Royal, elle cherche à se bien cacher et il lui arrive de n’avoir pas le temps de souhaiter une bonne année à son frère avant le 6 novembre. Mauriac disait qu’elle ne voulait point mettre de limite à la pureté et à la perfection (Blaise Pascal et sa sœur Jacqueline, 1931). Il y a eu de l’amour-passion entre le frère et la sœur. Elle le poussait à devenir un Solitaire (de Port-Royal).

Il est bien assuré qu’on ne se détache jamais sans douleur. On ne sent pas son lien quand on suit volontairement celui qui entraîne…Mais quand on commence à résister et à marcher en s’éloignant, on souffre bien, écrit Pascal à Charlotte le 24 septembre 1656. Que va-t-il lui faire valoir pour qu’elle choisisse d’entrer elle aussi (brièvement) à Port-Royal et de prendre le nom de Charlotte de la Passion ?

mardi 14 avril 2009

Pascal amoureux

Chapitre premier

Le coeur a ses raisons (que la raison ne connaît pas). Mais le coeur lui aussi se lasse de penser, il lui faut du remuement et des passions. Comme l'amour est la passion la plus naturelle à l'homme, il arrive qu'à force de parler d'amour l'on devient amoureux. Si le nuage est soutenu par l'air, dont Blaise Pascal avait mesuré la pesanteur, l'amour se soutient par l'esprit. Il faut de l'adresse pour aimer. Imagine-t-on Pascal reconnaître à l'amour qu'il faut le faire? Si les nuages se ressemblent partout, il est certain que [l'amour] doit être le même par toute la terre. Il est vrai que, se terminant autrement que par la pensée, le climat peut ajouter quelque chose, mais ce n'est que dans le corps.

Au programme du bac littéraire de 2009, les Pensées de Pascal nécessitent des tables de concordance d'une folle complexité pour s'y retrouver, malaisément, d'une édition à l'autre (Je ferais trop d’honneur à mon sujet si je le traitais avec ordre puisque je veux montrer qu’il en est incapable). Son Discours sur les passions de l’amour, lui, figure ou non, ici ou là, parmi les œuvres complètes. Est-il de lui ou de la main d’une femme d’esprit qui l’aurait recueilli dans un salon de marquise ? Un de ses derniers éditeurs met en résonance l’indétermination quant à sa provenance et l’indétermination si pressante des pensées. La formule la plus complète se trouve sur le site en ligne de la bibliothèque de Lisieux (où on peut lire ses huit courts chapitres) : « habituellement attribué à Pascal bien que cela soit peu vraisemblable ». Mais tous retiennent (dans la correspondance ou dans les opuscules ?) les Lettres à Mademoiselle de Roannez et elles résonnent souvent avec les passions de l’amour.



Charlotte de Roannez était une de ces innombrables jeunes filles que la situation accordée aux femmes plaçait entre l’ensevelissement dans le mariage et le tombeau du couvent. En termes de l’époque, c’était une noble et aimable personne, qu’un zèle farouche disputa longtemps aux liens les plus légitimes de la nature et du monde, et qui, divisée avec elle-même dans ce terrible combat, finit par mourir misérablement, chargée des anathèmes de Port-Royal, malheureuse et désespérée d’avoir été une fille soumise et une épouse irréprochable (Recueil pour servir à l’histoire de Port-Royal). Pendant sa période mondaine, Pascal fréquentait la maison, rue Brisemiche, du duc de Roannez (avec qui il ouvrira cinq lignes d’omnibus dans Paris) et y avait même sa chambre. Charlotte, la jeune soeur du duc, avait 15 ou 16 ans lorsque Pascal se lia d’une étroite amitié avec elle. Cette amitié devint l’origine d’un sentiment plus vif…peut-être conçut-il l’espérance de devenir son époux (Prosper Faugère, éditeur des Pensées, fragments et lettres en 1844, qui cite le Discours : quand on aime une dame sans égalité de condition…III, 8). Racine semble confirmer : M.Pascal renonça à un mariage très avantageux qu’il était sur le point de conclure (Abrégé de Port-Royal).

Un jour d’août 1656, Charlotte visite Port-Royal et veut se faire religieuse, pour échapper peut-être à un mariage imposé (avec le marquis d’Alluye). Chez le duc, l'entourage de Melle de Roannez s’en trouve très irrité contre Pascal, raconte Marguerite Périer, sa nièce. D'autant plus que le duc lui-même se dit résolu à ne pas épouser, de son côté, la plus riche héritière du royaume. Cette irritation gagna toute la famille, à ce point qu’un matin la concierge monta dans la chambre de Pascal avec un poignard, pour le tuer. Par chance, il était sorti de bonne heure (le bonheur était encore de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre) et il n’y retourna plus. Le duc emmène sa sœur pour sept mois dans le Poitou. C’est là que Pascal lui écrit.

jeudi 2 avril 2009

Une flamme pour personne


Un calife de Cordoue, Suleimân al-Musta’în, découvrit que l’humiliation de l’amour était une seconde royauté (on le disait de faible caractère). Sans doute pour la faire éprouver aux souverains du Nord, il leur vendait des musiciennes et des chanteuses, si belles qu’on eût cru que c’étaient des quartiers de lune (Ibn al-Kattânî). A Poitiers, le puissant Guillaume IX en était entouré. Il se laissa excommunier pour vivre avec la Maubergeonne, Dangereuse de Châtellerault, dont il fit peindre le prénom et le corps nu sur son bouclier. Premier des troubadours, il écrivit des poèmes sous la forme du zadjal andalou. La joie d’amour naissait de la dépendance amoureuse librement consentie. L’important était d’être amoureux. Et aussi bien d’être seul. En Orient, d’où vint ce sentiment, comme en vint la rose, le sacrifice le plus courtois était de s’exposer aux atteintes du souvenir, au milieu du désert, au milieu de l’absence.
La personne qui compte est la troisième. L’amour d’un couple est un tiers. Il est comme un enfant. Il est l’occupation désirée, un métier de l’âme, le seul que convoite Bernat Marti. Aimer c’est d’abord soupirer et feindre (le fenhedor), puis supplier (le precador), puis être agréé (l’entendedor), puis atteindre la chair (le drut). Tout passe par le surnom, le signe (l’Ami), l’intransitif. Ainsi Mireille Sorgue parle d’un de ses premiers amours, contemporain de ses premiers poèmes : Savez-vous qu’il me semble à présent que Michel fut seulement le prétexte de l’amour – qu’il n’en est plus que le symbole, le signe ? Pourquoi je pense cela ? Parce qu’Il est absent et que l’amour demeure ; parce que la réalité de sa présence ne me cerne plus et que l’amour me comble. Michel, un mythe, et mon amour seule réalité – et pas tellement l’amour de Lui, comme ce fut ou comme je le crus ( ?) ; l’amour (tout court) et je crois que je pourrais dire : sans objet, ou plutôt sans objet exclusif : moi, une flamme pour personne, pour rien, ma propre limite ». On est le 14 novembre 1962 et il allait en être de même pour l’Amant.

jeudi 26 mars 2009

La Fin'amors

Tous les écrits de Mireille Sorgue font entendre les échos de son attirance pour la parole des troubadours occitans (les hommes mais aussi les trobairitz féminines) et son affinité avec l’absolue singularité de cette lyrique courtoise. Quand elle se dit heureuse à douleur, quand elle parle de peine doucement dure, et encore de ce bonheur de vivre si poignant qu’il m’est douleur, on écoute Peire Rogier (le mal que j’ai de la peine à supporter me rend doublement heureux), Rigaut de Barbezieux (la joie m’est souffrance et le plaisir douleur) ou les battements du cœur désordonné d’Azalaïs de Porcairagues. Elle n’a pas pris leurs mots, les leurs et les siens se rencontrèrent. Leur asservissement à l’amour (ou je ne sais quelle autre disposition) la conduisit à suivre les cours de René Nelli à la faculté des lettres de Toulouse. Il avait publié cette année-là L’Erotique des troubadours (Privat, 1963). Qu’était la fin’amors, en quoi pouvait-elle captiver Mireille, et comment cet amour, inventé il y a près de mille ans, reste-t-il accroché, de génération en génération, dans les poitrines ?

L’amour était considéré par les anciens comme une faiblesse, une sorte de folie. Ainsi René Nelli débutait une première étude de l’amour provençal dans un numéro spécial des Cahiers du Sud, édité en 1943 à la veille de l’invasion par les troupes allemandes : Le Génie d’oc et l’homme méditerranéen (il fallait oser ce titre cette année-là). Pourquoi l'amour est-il soudain devenu si important pour toute une société ? Et que veut dire fin’amors ? Nelli le traduit : amour fin, pur, vrai. Il s’oppose à la fausseté. Fin ne signifie pas la finesse, comme pour le sel ou la pluie, mais l’achèvement (latin finis, l’extrémité), la perfection comme dans l’or fin ou la perle fine. Fin marque la purification du désir sexuel, qui n’est pas la continence malgré ce que beaucoup ont dit. En vérité, dit Nelli, ils veulent idéaliser l’amour avant de le « faire » et peut-être pour pouvoir le faire sans le trahir. Dans sa monographie sur Raimon de Miraval, Du jeu subtil à l’amour fou (Verdier, 1979) il prend chez celui qui fut le plus grand Connaisseur du sentiment l’idée que l’Acte fonde le pur amour au lieu de le détruire. Les dames étaient toutes disposées à admettre que l’acte charnel est bien le commencement de l’amour de cœur et que l’acte sans amour est aussi absurde que l’amour sans acte. Elles accordaient (avec risque) le jazer. Il ne nous reste qu’un mot de cette famille : sous-jacent (couché dessous).

Pour autant, l’accomplissement du désir était retardé le plus longtemps possible afin de le transformer en Joi. C’est le mot central de l’amour provençal. Il dépasse la jouissance, c’est un mot-mystère (Jacques Roubaud), c’est presque une chose, un bien. Le premier troubadour, Guillaume IX, l’inventeur de tout (il avait séjourné chez les poètes arabo-andalous), parle d’une substance mystérieuse inhérente à la féminité. Glynnis M.Cropp, dans une thèse de cinq cents pages sur le vocabulaire courtois, ne vient pas à bout de sa signification. On perd souvent pied dans le langage, heureusement : il ne rattrape pas tout. Mireille écrivait : j’éprouve les limites du langage et mes propres limites aussi. Miraval, dans une même strophe dit qu’il est rempli de joy et que le joy se fait attendre. Le joy ne doit pas fondre en jouissance. Pour atteindre sa plénitude, le joy doit aussi contenir toute la tristesse qui l’a précédé, le suivra et aussi bien l’accompagne. Le joy exige la totalité de l’être. Mireille : cet amour est terrible qui me requiert toute.

Car un gouffre borde cet amour, toujours ouvert. Bona domna, tot m’es niens, tout n’est que néant si je n’obtiens pas la possession…(Miraval). Farai un vers de dreit nien, Je ferai un poème de pur néant (Guillaume IX). La confrontation de l’amour et du néant porte à aimer une dame que l’on n’a jamais vue (l’amor de lonh) ou dont on ne sait pas qui elle est (no sai qui s’es). Elle va aussi frôler la mort. Eu mor per s’amor, je meurs pour son amour (Bernat de Ventadour)…mi datz/La mort, elle me donne la mort (Raimbaut d’Orange). Cet amour était contemporain du catharisme, le monde avait été créé par un dieu mauvais, toute matière était fin néant.

Fin’amors est un jeu extrêmement dangereux. Le plus haut acte d’amour est de le refuser, de part et d’autre. La vicomtesse de Penne devint cathare pour un chagrin d’amour. L’amour était incompatible avec le mariage, et donc avec la descendance. Un Cathare ne voulait surtout pas renaître. Toutes les femmes chantées par les troubadours étaient initiées au catharisme. Mais la fin’amors restait, à la surface, un jeu, un exercice de style. Quand Marcabru demande : Rappelle-lui que je mourrai si je ne sais comment elle se couche, nue ou vêtue, il est à la fois plus sérieux et moins sérieux qu’il ne le dit. Dans cette société, la femme (c’est une femme qui le dit, Meg Bogin, Les femmes troubadours), si elle est le chemin du ciel est d’abord en ce monde le « passage secret » vers la possession d’un rang social. Et plus haut la femme portait le joy plus elle s’élevait et élevait celui qui le lui donnait à garder. La dame, l’amant et l’amour étaient trois. L’amour exigeait les plus grands soins. Il ne devait jamais tomber à terre. L’homme qui avait réussi à obtenir l’or pur, disait Nelli, c'est-à-dire avoir une fois dans la vie touché au bond le pur sentiment d’amour, celui-là croyait avoir tout gagné.

A.G.

jeudi 19 mars 2009

19 mars

19 mars 1963

"...Je choisis hier avec Maman, en cadeau d'anniversaire, un "fond de robe" que tu aimeras, parce qu'il ne ressemble pas à de la lingerie...Et mon chemisier à col "hirondelle", te plaira-t-il?...
J'eus encore un disque que tu as pu apprécier : Les Plus Beaux Poèmes de la langue française - dits par Gérard Philipe et Maria Casarès. Et c'est vrai que mardi j'ai dix-neuf ans... Mais ce n'est pas une raison pour. Aucun mérite ne me revient..."

19 mars 1964

"J'ai vingt ans souverainement..."

Le 19, l'anniversaire de Mireille Sorgue (Mireille Pacchioni) ouvrait une période de festivités dans la famille: anniversaire du père le 20 puis, le 21, de la "petite soeur" ("Marie-France", "Françou" des Lettres).

mercredi 18 mars 2009

Mireille Sorgue a suivi à la Faculté des Lettres de Toulouse les cours de René Nelli (1906-1982). Des contributions sur L'Erotique des troubadours ou Raimon de Miraval, du jeu subtil à l'amour fou sont en préparation (et d'autres souhaitées).
Place en construction (on embauche). Elle sera bâtie avec l'aide des passants. Recherche personne capable d'installer une fontaine sur cette place. "Tu verras, j'inventerai des fontaines" (Mireille, 26 janvier 1964).

La nuit-soleil

Une contribution de Jean-Pierre Crèvecoeur


Mais qu’elle aura lue


Mireille
a pris le dernier train
et le dix-sept août 1967, à l’aube
de l’express qui la ramène de Paris vers Toulouse
elle ouvre une porte et saute


et tombe
sa chute a été mortelle
mais Mireille
a laissé ici-bas ses larmes
et le début d’une œuvre


une grande œuvre littéraire
(un peu comme tous ces poètes
ces peintres et autres artistes
hachés menu dans les boyaux de Verdun
- l’acivilisation )


Mireille
serait vieille aujourd’hui
un peu comme tous ces soldats
de Verdun ou d’ailleurs
qui auront vingt ans pour toujours


Mais Mireille
m’ensorcelle
- du bout de son nulle part
j’ai l’impression
qu’elle regarde


ma main qui écrit
et trace
un rêve insensé que je ne comprends pas


cette poésie, en somme,
à jamais méconnue
même de moi – dans dix ans
mais qu’elle, Mireille, aura lue !


Il est amusant de constater qu’en écrivant ce texte, je n’avais aucune idée de le faire publier. C’était une sorte d’affaire privée entre un fantôme et moi. Mais ce texte me paraît aujourd’hui bien lourd, bien maladroit, et je regrette de n’avoir pu lui substituer « Mireille », dans le recueil [Les Poésies de la nuit-soleil]. Par contre, je tiens toujours beaucoup à cette orthographe étrange, l’acivilisation, construite sur l’alpha privatif.

Mireille

de l’or de tes cheveux
au ciel de tes yeux
du parfum de ton corps
à ta toison d’or
je suis un voyageur


du silence de la pierre
qui porte ton nom
jusqu’à l’amant magnifique
que tu nous as laissé
je rêve


par le sourire de celle
qui seule a le secret
de mon bonheur
- par ses mains
je t’aime
Place en construction (on embauche). Elle sera bâtie avec l'aide des passants.