lundi 18 mai 2009

Petite bibliothèque "M" (5)

Sören Kierkegaard

« Johannes !

Je ne t’appelle pas « mon » Johannes, car je sais bien que tu ne l’as jamais été ; j’ai été assez durement punie pour avoir laissé mon âme se délecter à cette idée ; et pourtant, je t’appelle mien ; mon séducteur, mon trompeur, mon ennemi, mon assassin, l’auteur de mon malheur, le tombeau de ma joie, l’abîme de mon infortune. Je t’appelle mien et je m’appelle tienne, et de même qu’autrefois cela te flattait les oreilles, toi qui fièrement t’inclinas pour m’adorer, à présent cela doit sonner comme une malédiction sur toi, une malédiction pour toute l’éternité. Ne te réjouis pas en pensant que j’ai l’intention de te poursuivre ou de m’armer d’un poignard pour t’exciter à des moqueries ! où que tu fuies, je suis pourtant tienne, va jusqu’au bout du monde, je resterai pourtant tienne, donne ton amour à des centaines d’autres, je suis pourtant tienne, oui à l’heure de la mort je serai tienne. Le langage même dont je me sers envers toi doit te prouver que je suis tienne. Tu as eu l’audace de tromper un être de telle façon que tu es devenu tout pour cet être, pour moi, et que j’aurais infiniment de plaisir à devenir ton esclave, – je suis à toi, je suis tienne, ta malédiction.

Ta Cordélia

Journal du séducteur.
Proposé par Fanny Domecq

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