mardi 14 avril 2009

Pascal amoureux

Chapitre premier

Le coeur a ses raisons (que la raison ne connaît pas). Mais le coeur lui aussi se lasse de penser, il lui faut du remuement et des passions. Comme l'amour est la passion la plus naturelle à l'homme, il arrive qu'à force de parler d'amour l'on devient amoureux. Si le nuage est soutenu par l'air, dont Blaise Pascal avait mesuré la pesanteur, l'amour se soutient par l'esprit. Il faut de l'adresse pour aimer. Imagine-t-on Pascal reconnaître à l'amour qu'il faut le faire? Si les nuages se ressemblent partout, il est certain que [l'amour] doit être le même par toute la terre. Il est vrai que, se terminant autrement que par la pensée, le climat peut ajouter quelque chose, mais ce n'est que dans le corps.

Au programme du bac littéraire de 2009, les Pensées de Pascal nécessitent des tables de concordance d'une folle complexité pour s'y retrouver, malaisément, d'une édition à l'autre (Je ferais trop d’honneur à mon sujet si je le traitais avec ordre puisque je veux montrer qu’il en est incapable). Son Discours sur les passions de l’amour, lui, figure ou non, ici ou là, parmi les œuvres complètes. Est-il de lui ou de la main d’une femme d’esprit qui l’aurait recueilli dans un salon de marquise ? Un de ses derniers éditeurs met en résonance l’indétermination quant à sa provenance et l’indétermination si pressante des pensées. La formule la plus complète se trouve sur le site en ligne de la bibliothèque de Lisieux (où on peut lire ses huit courts chapitres) : « habituellement attribué à Pascal bien que cela soit peu vraisemblable ». Mais tous retiennent (dans la correspondance ou dans les opuscules ?) les Lettres à Mademoiselle de Roannez et elles résonnent souvent avec les passions de l’amour.



Charlotte de Roannez était une de ces innombrables jeunes filles que la situation accordée aux femmes plaçait entre l’ensevelissement dans le mariage et le tombeau du couvent. En termes de l’époque, c’était une noble et aimable personne, qu’un zèle farouche disputa longtemps aux liens les plus légitimes de la nature et du monde, et qui, divisée avec elle-même dans ce terrible combat, finit par mourir misérablement, chargée des anathèmes de Port-Royal, malheureuse et désespérée d’avoir été une fille soumise et une épouse irréprochable (Recueil pour servir à l’histoire de Port-Royal). Pendant sa période mondaine, Pascal fréquentait la maison, rue Brisemiche, du duc de Roannez (avec qui il ouvrira cinq lignes d’omnibus dans Paris) et y avait même sa chambre. Charlotte, la jeune soeur du duc, avait 15 ou 16 ans lorsque Pascal se lia d’une étroite amitié avec elle. Cette amitié devint l’origine d’un sentiment plus vif…peut-être conçut-il l’espérance de devenir son époux (Prosper Faugère, éditeur des Pensées, fragments et lettres en 1844, qui cite le Discours : quand on aime une dame sans égalité de condition…III, 8). Racine semble confirmer : M.Pascal renonça à un mariage très avantageux qu’il était sur le point de conclure (Abrégé de Port-Royal).

Un jour d’août 1656, Charlotte visite Port-Royal et veut se faire religieuse, pour échapper peut-être à un mariage imposé (avec le marquis d’Alluye). Chez le duc, l'entourage de Melle de Roannez s’en trouve très irrité contre Pascal, raconte Marguerite Périer, sa nièce. D'autant plus que le duc lui-même se dit résolu à ne pas épouser, de son côté, la plus riche héritière du royaume. Cette irritation gagna toute la famille, à ce point qu’un matin la concierge monta dans la chambre de Pascal avec un poignard, pour le tuer. Par chance, il était sorti de bonne heure (le bonheur était encore de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre) et il n’y retourna plus. Le duc emmène sa sœur pour sept mois dans le Poitou. C’est là que Pascal lui écrit.

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