samedi 25 avril 2009

Petite bibliothèque "M"

Cette petite bibliothèque de la place Mireille Sorgue se bâtira au fil des lectures ou des dons et sera composée de textes relatifs au sentiment et au discours amoureux.

Simone de Beauvoir

« Il y a plusieurs choses que je hais dans l’amour : l’abandon de tout soi-même qui est une simple lâcheté parce qu’un être n’est jamais une fin, qu’évidemment le devoir est tout de même au-dessus de l’amour et que le devoir défend d’aliéner sa liberté ; je n’en fais pas une question de dignité mais de morale. Je consentirais volontiers tous les sacrifices pour un être que j’aimerais, mais je ne voudrais pas n’exister qu’à travers lui – le chantage sentimental qui pousse les femmes surtout à voir dans celui qu’elles aiment un être chargé de partager le fardeau de leur âme qu’elles sont trop faibles pour porter…Je sais que dans les minutes d’abattement, un grand désir vous prend parfois de crier sa peine à une âme amie, de voir dans des yeux chers le reflet de soi-même ; cela c’est s’aimer soi et dans l’autre l’amour qu’il a pour vous. Le vrai amour, c’est le mot de Goethe : « Je t’aime, est-ce que cela te regarde ? » Bien sûr, les confidences, le sentiment d’une mutuelle intelligence sont une des douceurs de l’amour, parce qu’on ne donne pas toujours, qu’il est bon aussi de recevoir ; mais si l’on accepte joyeusement de recevoir, si l’on a même le droit de demander parfois, c’est donner qui demeure l’essentiel.
Je n’aimerais pas non plus un être qui serait toujours supérieur à son amour, parce que ce serait une preuve que sa passion n’est pas assez grande si elle ne l’accable jamais ; je le mépriserais de se montrer inférieur à sa passion, parce que serait une marque de sa propre faiblesse. Je ne voudrais pas qu’il raisonnât toujours, parce qu’une grande passion est d’abord instinctive ; ni qu’il ne raisonnât jamais, parce que l’homme doit savoir s’élever au-dessus de ses instincts. Je voudrais qu’il unît à la lucidité du héros de Aimée [roman de Jacques Rivière] la simplicité du Grand Meaulnes ou d’une élégie de Jammes ; à la spontanéité d’Almaïde d’Etremont [roman de Francis Jammes] la réflexion douloureuse d’Alissa. Une belle passion est plus difficile et plus rare encore je crois qu’une belle œuvre. Des amoureux et des amoureuses que je connais, aucun je pense ne me satisferait pleinement […] Autant d’être différents, autant de positions en face de l’amour. L’essentiel au fond c’est d’aimer et d’être sincère. Mais c’est une chose si grave l’amour, même pour ceux qui n’aiment jamais » (Cahiers de jeunesse, 21 août 1926, ed. Gallimard. Simone de Beauvoir a 18 ans).

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