jeudi 2 avril 2009

Une flamme pour personne


Un calife de Cordoue, Suleimân al-Musta’în, découvrit que l’humiliation de l’amour était une seconde royauté (on le disait de faible caractère). Sans doute pour la faire éprouver aux souverains du Nord, il leur vendait des musiciennes et des chanteuses, si belles qu’on eût cru que c’étaient des quartiers de lune (Ibn al-Kattânî). A Poitiers, le puissant Guillaume IX en était entouré. Il se laissa excommunier pour vivre avec la Maubergeonne, Dangereuse de Châtellerault, dont il fit peindre le prénom et le corps nu sur son bouclier. Premier des troubadours, il écrivit des poèmes sous la forme du zadjal andalou. La joie d’amour naissait de la dépendance amoureuse librement consentie. L’important était d’être amoureux. Et aussi bien d’être seul. En Orient, d’où vint ce sentiment, comme en vint la rose, le sacrifice le plus courtois était de s’exposer aux atteintes du souvenir, au milieu du désert, au milieu de l’absence.
La personne qui compte est la troisième. L’amour d’un couple est un tiers. Il est comme un enfant. Il est l’occupation désirée, un métier de l’âme, le seul que convoite Bernat Marti. Aimer c’est d’abord soupirer et feindre (le fenhedor), puis supplier (le precador), puis être agréé (l’entendedor), puis atteindre la chair (le drut). Tout passe par le surnom, le signe (l’Ami), l’intransitif. Ainsi Mireille Sorgue parle d’un de ses premiers amours, contemporain de ses premiers poèmes : Savez-vous qu’il me semble à présent que Michel fut seulement le prétexte de l’amour – qu’il n’en est plus que le symbole, le signe ? Pourquoi je pense cela ? Parce qu’Il est absent et que l’amour demeure ; parce que la réalité de sa présence ne me cerne plus et que l’amour me comble. Michel, un mythe, et mon amour seule réalité – et pas tellement l’amour de Lui, comme ce fut ou comme je le crus ( ?) ; l’amour (tout court) et je crois que je pourrais dire : sans objet, ou plutôt sans objet exclusif : moi, une flamme pour personne, pour rien, ma propre limite ». On est le 14 novembre 1962 et il allait en être de même pour l’Amant.

3 commentaires:

  1. "et il allait en être de même pour l’Amant."

    Je suis resté dans l'incertitude, sur la mort de Mireille Sorgue, jusqu'à la parution, en poche, de l'Amant. Cette nouvelle préface apportait des informations mais on aimerait en savoir plus sur le mystérieux personnage auquel il est fait allusion.

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  2. Ce "mystérieux personnage" mène un existence publique d'auteur sous un pseudonyme que vous trouverez dans la courte biographie mise sur le site de Mireille Sorgue accessible depuis ce blog (Sur la place, Mireille Sorgue). Il ne nous appartient pas de dévoiler son identité. Néanmoins, puisqu'il faudra bien qu'un jour s'éclaircisse la vie et la mort de Mireille, nous commencerons bientôt à poser ici "la question de l'amant". Ce qui sera aussi un commencement de réponse à votre demande.

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  3. Je me suis mal exprimé. Je sais que François Solesmes est "L'Amant". Par personnage mystérieux j'entends celui que Jacques Goulet, dans sa préface du livre de Poche, qualifie de Palestinien.

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