jeudi 18 juin 2009

Petite bibliothèque "M" (9)

Mireille Sorgue


Sève brute (2) 8 octobre

Et que saurais-je écrire,
sinon ma peine d’aujourd’hui,
ma peine d’amour que l’automne rougit comme une vigne vierge,
la gomme savoureuse, exécrable, sucrée,
l’huile rance qui luit dans les vases sacrés,
succulente de pulpe et robe incarnadine,
écume de vermouth, liqueur amygdaline,
ma peine mûre et qui suinte, âcre résine ;
la loutre chatoyante et verbeuse, gîtée
au logis tiède et clos de mes seins délaissés ;
mollusque parasite et bruissante marée ;
ma peine tour à tour qui se prélasse aux laisses,
lascive, paresseuse, indolente maîtresse,
où (sic) le cavalier lourd qui me presse et m’éreinte
amazone drapée d’une vapeur d’absinthe ;
vénéneuse corolle ou floraison marine
qu’épanouit la nuit ; ma couronne d’épines ;
ma douleur somptueuse en velours cramoisi
poivrée comme un relent de banane pourrie
comme un soir de juin si lourd que l’on défaille
chaude autant que ton bras qui ceintura ma taille


Que saurais-je écrire, sinon Toi, et la souffrance dont tu me combles ?
J’ai marché dans les rues aux cohortes démentes
Et passante sans yeux, pleurant mon âme absente,
Promené tout au long des stupides pavés
Ma soif inconvenante et mes sanglots figés ;
J’ai marché, et les bruits alentour déferlaient,
Vague tonitruante et saumâtre, et j’allais,
Me berçant au giron de cette maritorne
Au rire croupissant, Ville, chacale morne :
Je tressaillais, blessée, au bref glapissement
Des freins sur la chaussée, au triste hululement
D’un train dans le décor ; je fuyais étrangère,
Eclaboussée de lie, et nul qui fût mon frère
Et qui me prît la main et d’un baiser défît
Le délire diurne et l’angoisse des nuits…
Thalassa reperdue, j’invoquais ton rivage
Aux étreintes moirées sur la douceur des plages…
Mais me conduira-t-il celui qui sait les bords
Où se berce l’oubli ? J’ai des pensers de mort
Qui bourdonnent aigus, crécelle lancinante
Au chant sempiternel, monotone et navrante,
Thalassa reperdue, parviendrai-je au rivage,
Et saurai-je à nouveau le sel de Ton visage ?

Je t’aime. Amour en pure perte.

Petite bibliothèque M (8)

Mireille Sorgue

2 août
Sève brute (1)

Et que saurais-je écrire, sinon ma peine d’aujourd’hui, ma peine d’amour, neuve, acide – goût de prunelle diaprée prise au buisson avant le temps, longuement macérée sous la langue, corrosive et insinuante liqueur,
et ce vent qui m’affouille,
ma peine aiguë ou sourde au gré du temps,
ma peine contenue, apaisée, comme un chien qu’on flatte à la croupe en le retenant du collier, -- assoupie enfin – (Que vite on chante une berceuse très endormeuse…)
et soudain, sans que j’aie su pourquoi, en lente reptation vers ma gorge qui s’affole,
jusqu’à ce que douleur s’ensuive.

Je mords le drap crissant et fade.

Que saurais-je écrire sinon Toi et la souffrance dont tu me combles ? J’ai agrippé mes doigts aux pierres que tu foules, et tu écrases mes ongles en dansant sur mes mains la ronde de ta joie.
Tes bottes sonnent la cadence sur un rythme de sarabande, et ton rire chante clair, si clair, mon amour, insoucieux de moi.

Je t’aime. Amour en pure perte,
comme un vent qui ne jouerait pas avec les fumées sur les toits,
qui ne tournerait aucune roue de moulin aux pales chuintantes,
qui ne peignerait aucun arbre,
comme une bruyère où ne viendraient pas les abeilles,
comme une pluie que les oiseaux ne pourraient boire,
comme un fruit mûr qu’on ne goûterait pas,
comme un inutile sanglot.

(Ce poème date de 1962. Il y eut donc un premier "Toi" avant l'Amant, comme il y en eut un autre après.)